Dette, transition énergétique et recettes nationales en Afrique : une plus grande transparence s’impose
La demande croissante en minéraux africains appelle à la transparence pour favoriser les recettes, la viabilité de la dette et le développement.
L’Afrique se trouve à un carrefour. La hausse de la dette limite la croissance du continent ; la dette publique a atteint 1 800 milliards de dollars US en 2022, et neuf des 11 pays dans le monde qui font face à un surendettement sont en Afrique. Les pays riches en ressources, comme l’Angola, la République démocratique du Congo, le Nigeria et la Zambie, continuent de dépendre largement des recettes provenant de leurs exportations de matières premières. Compte tenu de l’accès limité aux marchés de capitaux, davantage de pays empruntent sur leurs recettes futures. L'effet conjugué de la hausse de la dette et de la faiblesse des recettes en devises étrangères a rendu difficile le financement des priorités en matière de développement.
La demande mondiale en minéraux de transition offre une nouvelle opportunité de refaçonner la situation économique de l’Afrique.
Pourtant, la demande mondiale en minéraux de transition offre une nouvelle opportunité de refaçonner la situation économique de l’Afrique. Bien que l’Afrique ne détienne pas une part dominante des réserves mondiales de minéraux de transition ni de capacités de production ou de transformation, certains pays du continent se démarquent. La République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie possèdent 6 % des réserves connues de cuivre dans le monde et 73 % de la production mondiale de cobalt provient de la RDC. Le Gabon, le Ghana et l’Afrique du Sud extraient 58 % du manganèse et la Guinée abrite 23 % des réserves mondiales de bauxite. Afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé, des conditions transparentes et des pratiques d’emprunt prudentes sont nécessaires pour capitaliser sur le marché mondial des minéraux de la transition, qui s'élève à 325 milliards de dollars US.
1. Les contrats, les prêts et la propriété : savoir quoi et qui
Les contrats extractifs opaques contribuent aux flux financiers illicites, qui ont coûté à l’Afrique plus de 88,6 milliards de dollars US chaque année. Une accélération précipitée dans l'octroi de licences minières peut accroître les risques de corruption. La non-divulgation des conditions des dettes garanties par les recettes extractives futures pourrait encore compromettre la viabilité de la dette et rendre plus difficile la mobilisation de fonds supplémentaires auprès de prêteurs institutionnels. La transparence des processus d’octroi de licences, des contrats et des accords liés aux prêts adossés à des ressources peut atténuer ces risques. Les analyses des contrats publiés ont soutenu les efforts des gouvernements en matière de suivi de la mise en œuvre de projets, de négociation de conditions contractuelles équilibrées et d’adoption de réformes. Par exemple, l’examen des contrats par l’ITIE RDC a contribué aux renégociations qui ont permis d’obtenir 4 milliards de dollars US.
L’opacité des contrats énergétiques exacerbe également le surendettement de l’Afrique. Etendre la transparence pour y inclure les accords d’achat d’électricité pourrait renforcer la supervision du public. Étant donné que plus de 15 pays d’Afrique tiennent désormais à jour des registres des bénéficiaires effectifs, les autorités de réglementation disposent de nouveaux outils pour améliorer les processus de contrôle préalable dans l'octroi de licences, de contrats et accords connexes. Dans des pays tels que le Nigeria, cette approche permet de déceler des fuites de fonds.
2. Collecte des recettes : savoir ce qui doit être payé
En moyenne, les pays d’Afrique perçoivent environ 40 % des recettes qu’ils pourraient potentiellement tirer de leurs ressources. Selon les dernières divulgations de l’ITIE, les 28 pays ITIE d'Afrique mobilisent approximativement 47,8 milliards de dollars US de recettes extractives chaque année, mais la dette publique demeure élevée et la valeur par habitant reste faible.
Une mobilisation de recettes efficace repose sur quatre questions clés : Qu’est-ce qui a été payé ? Pourquoi ? Était-ce le montant approprié ? Quelles recettes peut-on attendre ? En général, les divulgations répondent à la première question et révèlent parfois des pratiques de corruption, comme c’est le cas au Mozambique, où la déclaration ITIE a fait ressortir l’existence de détournements de fonds, ce qui a abouti à des inculpations pénales et à un recouvrement de recettes.
Les divulgations de l'ITIE fournissent des informations difficilement accessibles qui peuvent éclairer les projections des recettes et les réformes fiscales.
Pour répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions, il faut une analyse plus approfondie et des réformes systématiques. Les divulgations de l’ITIE fournissent des données difficilement accessibles qui peuvent orienter les prévisions de recettes et les réformes fiscales. En République du Congo, les divulgations de l’ITIE sur les contrats, les coûts et les ventes de pétrole ont été utilisées dans une étude de modélisation financière qui examinait les recettes passées et futures potentielles provenant de projets pétroliers majeurs afin d’analyser l’efficacité des politiques budgétaires du Congo. Selon l’examen par l’ITIE Ghana du contrat aurifère d’Agyapa, la part proposée pour le gouvernement était considérablement sous-estimée. Le système d’évaluation statistique de la production minière (MOSES) de la Zambie a permis de résoudre des problèmes de facturation de transactions et de sous-déclaration d’exportations, ce qui a contribué à mobiliser un million de dollars US supplémentaire.
3. Valeur ajoutée : aller au-delà des exportations de matières premières
La dépendance historique de l’Afrique à l’égard de l’exportation de minéraux bruts a limité les gains économiques du continent. Les pays prennent actuellement des mesures pour accroître la valeur en raffinant et en transformant les minéraux localement. Par exemple, en 2022, la valeur des exportations de cobalt transformé et raffiné de la RDC a atteint 6 milliards de dollars US, soit 36 fois plus que la valeur de ses exportations de minerai de cobalt brut.
Au-delà des investissements financiers, la réalisation de ces ambitions nécessite une gouvernance solide. Les pays ont besoin d’un environnement politique stable pour attirer les investisseurs. Des infrastructures énergétiques et de transport fiables sont essentielles, de même que l’intégration de couloirs régionaux pour soutenir une logistique multiutilisateur et renforcer les échanges commerciaux entre pays d’Afrique dans le cadre de la Zone de libre-échange africaine.
Au-delà des investissements financiers, la réalisation de ces ambitions nécessite une gouvernance solide.
Une participation claire et bien régie des États dans les projets extractifs est nécessaire pour équilibrer les objectifs commerciaux et les engagements publics. Un soutien aux mineurs artisanaux et à petite échelle et des mesures de contrôle préalable peuvent également contribuer à les intégrer dans l'assiette de recettes officielle. Des partenariats significatifs prévoyant un partage des bénéfices et tenant compte du contenu local et des politiques régionales sur l’ajout de valeur peuvent aider à harmoniser les ambitions des entreprises avec le bien-être des communautés et la gestion environnementale. Ces idées ne sont pas novatrices ; les 20 années de mise en œuvre de l’ITIE montrent que la transparence et la supervision multipartite sont essentielles pour assurer la mise en place concrète de chaînes de valeur durables.
De la transparence aux gains de recettes
La trajectoire de la transparence vers des recettes nationales accrues doit être délibérée, concertée et équilibrée. Premièrement, les groupes multipartites de l’ITIE doivent viser à renforcer les divulgations et appliquer des outils pour optimiser les recettes. Deuxièmement, un effort concerté de la part des parties prenantes de l’ITIE en vue d’élargir et d’approfondir l’engagement auprès des autorités de réglementation serait nécessaire pour garantir une supervision solide du secteur. En équilibrant la divulgation élargie avec une utilisation proactive des données et un engagement des parties prenantes, les gouvernements africains peuvent se positionner de manière à débloquer un marché de minéraux de 325 milliards de dollars US et à mobiliser des recettes extractives significatives pour s'attaquer à la dette et aux priorités en matière de développement du continent.
Remarque : ce blogue s’appuie sur les perspectives du Dialogue régional d’apprentissage par les pairs d’Afrique anglo-lusophone de l’ITIE, qui a regroupé 60 participants, notamment des coordonnateurs nationaux et groupes multipartites de l’ITIE, des organes de réglementation, des entreprises, des organisations de la société civile et des entreprises d’État, afin de discuter de la dette, de la transition énergétique et de la mobilisation de ressources en Afrique. Les experts comprenaient des représentants de l’OCDE, de CONNEX, de l’Energy for Growth Hub, de la Facilité africaine de soutien juridique et du Réseau africain pour la justice fiscale (TJNA). L’événement a bénéficié du soutien du gouvernement de la Zambie, de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et de la Fondation BHP, avec une représentation du Haut-Commissariat britannique, de l’Union européenne et de l’Ambassade des États-Unis.