Les communautés à la croisée des chemins : inclure les communautés dans une transition énergétique juste
Un nouveau rapport met en évidence les possibilités et les défis pour faire participer les communautés à la transition vers la neutralité carbone
Dans une ville isolée et aride à l’extrémité nord de la Colombie, des parcs éoliens terrestres longent le littoral. Pour les résidents de la région de La Guajira, les signes de la transition énergétique mondiale sont frappants : au-delà des éoliennes, on distingue des cargos qui transportent du charbon en provenance de la mine proche de Cerrejón.
La région abrite également le peuple autochtone des Wayúu et, depuis quelques années, des parcs éoliens poussent sur leurs terres comme des champignons. Si l’éolien a apporté des avantages au pays, il n’en reste pas moins que ses impacts sur les communautés d’accueil restent controversés.
« Le régime foncier dans la structure sociale wayúu et ses négociations avec les entreprises est un élément complexe qui peut créer des conflits entre les communautés », a expliqué un pütchipü’ü wayúu, autrement dit un médiateur traditionnel. Un autre membre de la communauté affirme que, malgré le développement de grands projets d’électricité à leur porte, les foyers des familles de la région ne sont pas raccordés au réseau d’électricité.
De l’autre côté de l’océan, dans les habitats côtiers du district d’Ellembelle au Ghana, la toute récente industrie pétrolière et gazière transforme la communauté. Les usines de traitement du gaz ont créé des emplois, des débouchés économiques, des établissements de santé, des écoles et des routes. Néanmoins, l’abandon des combustibles fossiles à l’échelle mondiale est source d’incertitudes pour les habitants d’Ellembelle. « Les seuls revenus de source fiable pour financer des projets publics critiques sont ceux versés par les sociétés pétrolières et gazières », a fait observer un haut responsable local. « Comment allons-nous survivre si ces entreprises ne sont pas en activité ? »
Les seuls revenus de source fiable pour financer des projets publics critiques sont ceux versés par les sociétés pétrolières et gazières.
Ces témoignages d’Ellembelle et de La Guajira nous permettent d’entrevoir les défis et les impacts auxquels sont confrontées les communautés locales qui vivent à proximité d’opérations extractives et énergétiques à l’ère de la transition énergétique. Pour garantir une transition énergétique juste, il est essentiel de donner aux communautés les moyens de participer de manière significative aux décisions qui se répercutent sur leur vie. La vitesse et l’ampleur sans précédent des changements qui se produisent dans le secteur de l’énergie et des industries extractives ne font qu’accentuer la nécessité de poursuivre les objectifs de décarbonation dans le respect des droits des communautés.
Pour mieux comprendre les impacts des projets des industries extractives et du secteur énergétique et relever les défis liés à l’accès à des informations utiles, l’ITIE a lancé le projet « Inclure les communautés dans une transition juste », un projet de deux ans soutenu par la Fondation Ford et mis en œuvre dans quatre communautés en Colombie, au Ghana et en Indonésie.
Le dernier rapport du projet souligne que, bien que les entreprises et les gouvernements aient amélioré leurs pratiques et leurs lignes directrices pour consulter les communautés et réaliser des évaluations d’impact, la participation des communautés aux décisions qui sous-tendent les projets extractifs et énergétiques reste un défi. Dans de nombreux cas, les communautés ne disposent pas des informations nécessaires pour participer réellement à la prise de décision.
Impacts sur les moyens de subsistance des communautés
Il est essentiel de comprendre le contexte unique qui existe sur le plan local et les effets potentiels que peut avoir un projet énergétique ou extractif lors de sa conception et de sa mise en œuvre. Or, souvent, les perspectives communautaires sont négligées. En Indonésie, des membres d’une communauté dans le nord de Morowali ont manifesté leurs inquiétudes quant aux conséquences que la pollution de l’eau causée par l’exploitation minière du nickel peut avoir sur leurs moyens de subsistance et leur activité de pêche. À Cesar, en Colombie, les communautés craignent que leurs priorités ne soient pas prises en compte dans les plans de fermeture de la mine.
Pour ces communautés et d’autres qui participent au projet, ce qui compte le plus, ce sont les effets concrets du secteur énergétique et des industries extractives sur leurs moyens de subsistance, tant sur le plan économique et social qu’environnemental. Pour aligner leurs décisions sur les besoins de la communauté, les entreprises et les gouvernements devraient approfondir ces questions, démarche qui peut à son tour favoriser des solutions plus inclusives et durables.
Incertitudes sur l’avenir
Alors que la transition énergétique transforme le secteur énergétique et les industries extractives, les communautés qui hébergent des opérations énergétiques et minières sont confrontées à des incertitudes. Le cadre national de transition énergétique du Ghana inclut le gaz naturel dans le bouquet énergétique national, mais reconnaît également les défis potentiels liés à une baisse mondiale de la demande de pétrole et de gaz et les retombées qu’elle pourrait avoir sur l’emploi, l’activité économique et les recettes publiques. En Colombie, les travailleurs et les membres de la communauté ont fait part de leurs préoccupations quant au manque d’informations sur les plans de fermeture et de transition envisagés, compte tenu des baisses prévues de la production de charbon. Et en Indonésie, le mécontentement à l’égard des processus de consultation pour les nouvelles mines de nickel et leurs installations de traitement est devenu un problème à régler de toute urgence.
Des informations détaillées et ponctuelles dans le cadre de la déclaration de l’ITIE sur les budgets régionaux, les impacts environnementaux et sociaux et les contributions économiques plus étendues peuvent être utiles pour favoriser une meilleure compréhension des conséquences des opérations minières et énergétiques sur les communautés locales. De plus, l’implication des communautés dès le début de la prise de décision et la prise en compte de leurs avis dans les discussions nationales et mondiales favorisent la transparence, répondent aux préoccupations et permettent de résoudre les problèmes de façon concertée. Lorsqu’elles participent de manière constructive, les communautés peuvent apporter une contribution positive pour trouver des solutions aux problèmes que la transition vers une économie bas carbone peut poser.
Alors que la transition énergétique transforme le secteur énergétique et les industries extractives, les communautés qui hébergent des opérations énergétiques et minières sont confrontées à des incertitudes.
Rendre les données disponibles et accessibles pour la prise de décision
La divulgation publique d’informations est cruciale, mais insuffisante si celles-ci ne sont pas accessibles, compréhensibles et utilisables par les communautés. Des facteurs tels que l’alphabétisation et l’accès limité à l’électricité et aux technologies entravent l’efficacité des formats d’information, et souvent, des rapports techniques détaillés et des portails de données complexes ne sont pas adaptés aux besoins des communautés.
Dans deux des communautés participantes, il est rare que des informations sur les projets extractifs et énergétiques soient disponibles dans leur langue locale. Les communautés ont proposé de recourir aux médias locaux pour la diffusion d’informations. Au Ghana, les membres de la communauté ont privilégié des tribunes communautaires, telles que des assemblées publiques et des stations de radio locales, pour diffuser des informations. En Colombie, une société minière a même utilisé des spectacles de théâtre pour dialoguer avec les communautés.
Recommandations clés en faveur d’une transition juste
Le rapport de projet met en évidence plusieurs recommandations pour rendre l’information plus accessible aux communautés et pour les impliquer dans la prise de décision. Les groupes multipartites de l’ITIE peuvent avoir recours à la Norme ITIE afin d’approfondir les problématiques qui comptent le plus pour les communautés (par exemple, l’emploi local, les dépenses sociales, les projets d’énergie renouvelable et les évaluations des impacts environnementaux et sociaux) et de présenter ces données dans des formats conviviaux. La participation de la communauté aux groupes multipartites de l’ITIE ou au dialogue politique national peut également aider à tenir compte des avis de la communauté dans la prise de décision. Enfin, un engagement soutenu auprès des communautés touchées nécessite des points de contact réguliers et une sensibilisation proactive aux espaces locaux.
La divulgation publique d’informations est cruciale, mais insuffisante si celles-ci ne sont pas accessibles, compréhensibles et utilisables par les communautés.
Face à l’évolution rapide de la transition énergétique, une plus grande inclusion des savoirs locaux et des perspectives communautaires s’impose. Celle-ci engendre la compréhension, la confiance et un soutien plus large, en veillant à ce que les décisions prises répondent aux défis et aux opportunités à long terme. L’engagement communautaire n’est pas une option : il est essentiel pour une transition énergétique juste.
Inclure les communautés dans une transition juste
Télécharger notre rapport sur l'utilisation des données et du dialogue pour impliquer les communautés dans une transition énergétique juste, basé sur des conclusions provenant de Colombie, du Ghana et d'Indonésie.