Mieux agir, ensemble : soutenir le devoir de diligence et la transparence dans le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle au Sahel
Louis Maréchal, conseiller en politique auprès de l’Unité sur la conduite responsable des entreprises de l’OCDE, nous explique que l’ITIE et l’OCDE peuvent opter pour une harmonisation de leurs cadres, leurs outils et leurs ressources dans le but d’améliorer la gouvernance de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle en Afrique de l’Ouest.
Au cours des dernières années, le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM) a suscité un intérêt sans précédent, tant de la part des gouvernements producteurs que des entreprises en contact avec les consommateurs qui achètent des composants dans le monde entier, en passant par les ONG internationales qui réclament un approvisionnement responsable en minerais — en particulier ceux utilisés dans les batteries et les véhicules électriques.
Et pour cause : les mineurs artisanaux et à petite échelle fournissent une part croissante de la production mondiale de divers matériaux, notamment ceux utilisés dans la construction, les pierres précieuses, l’or et le cobalt. D’après les estimations, l’industrie emploie 42,6 millions de personnes dans le monde.
Pour aider à optimiser la contribution du secteur de l’ASM aux économies locales, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) travaillent avec plusieurs des acteurs intéressés dans les pays producteurs. En ce sens, depuis le début de cette année, l’OCDE et l’ITIE collaborent étroitement au Burkina Faso, au Mali et au Niger, en s’appuyant sur le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais et la Norme ITIE afin de renforcer mutuellement leurs initiatives.
Impacts négatifs et lacunes dans les données
Même s’il s’agit d’une source fondamentale de moyens de subsistance dans le monde entier, le secteur de l’ASM demeure amplement informel. Il est souvent accusé d’entraîner de lourds impacts négatifs dans divers domaines, notamment de servir au financement de groupes armés, de favoriser la violation des droits de l’homme, la dégradation de l’environnement, les crimes financiers et les inégalités de genre. Selon une étude de l’OCDE réalisée en 2018 le secteur de l’ASM contribuerait à hauteur de 50 % à la production aurifère au Burkina Faso, au Mali et au Niger, soit l’équivalent de plus de 2 milliards de dollars US. Une très grande part de cette production est exportée illégalement et il en résulte des pertes énormes en recettes publiques, sans compter le risque que ce trafic aide au financement des groupes terroristes au Sahel.
Pour tempérer les effets négatifs de l’ASM et accroître sa contribution à l’économie, l’OCDE et l’ITIE s’attèlent à renforcer le devoir de diligence et la transparence dans le secteur.
Depuis 2016, l’OCDE travaille avec l’Autorité du Liptako-Gourma (ALG) pour promouvoir l’application de ses lignes directrices dans la région. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger mettent en œuvre la Norme ITIE depuis plus de dix ans maintenant, et tous ces pays font siéger des représentants de l’ASM au Groupe multipartite national. Le Burkina Faso et le Mali ont fait des progrès significatifs en incluant des données sur le secteur de l’ASM dans leurs rapports ITIE, notamment celles relatives aux cadres juridiques, à la production, aux exportations et aux réformes gouvernementales.
Mais en dépit de ces avancées, la collecte de données reste difficile. Il est pourtant fondamental de mieux comprendre la contribution économique du secteur de l’ASM et de soutenir les efforts en vue de sa formalisation et de certaines réformes.
Mieux agir, ensemble
Il existe des recoupements évidents dans le travail entrepris par l’OCDE et l’ITIE touchant au secteur de l’ASM. Un nouveau rapport, commandé par l’OCDE, présente une étude sur la façon dont le Guide de l’OCDE et la Norme ITIE pourraient, dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest, être intégrés pour appuyer en même temps les efforts nationaux en cours. Ce rapport contient un certain nombre de recommandations visant à renforcer cette synergie, en particulier les suivantes :
1. Sensibiliser les parties prenantes de l’ITIE
La sensibilisation des acteurs concernés suppose un renforcement des échanges entre les différents groupes, les plates-formes et les comités qui travaillent actuellement à la mise en œuvre du Guide de l’OCDE et de la Norme ITIE. Diverses autres activités peuvent être engagées, par exemple la promotion des normes internationales pertinentes auprès des acteurs locaux, en particulier la manière dont elles peuvent être utilisées pour cerner les risques économiques, environnementaux et sociaux liés au secteur de l’ASM.
En vue de renforcer les capacités locales et de sensibiliser les parties prenantes, l’OCDE a proposé une formation aux membres des Groupes multipartites ITIE du Burkina Faso, du Mali et du Niger, et aussi une facilitation du dialogue portant sur la représentation des acteurs de l’ASM en leur sein et au niveau des activités ITIE.
2. Étayer les rapports relatifs aux revenus du secteur de l’ASM
Il est nécessaire de communiquer des données plus complètes et plus approfondies sur les retombées économiques des activités liées à l’ASM. Cela requiert l’intervention active des acteurs du secteur privé, notamment des grandes compagnies minières titulaires de concessions couvrant des zones où opèrent les mineurs artisanaux, ainsi que des entreprises acheteuses de ressources minérales.
Donnant suite à une recommandation incluse dans son Rapport ITIE 2016, le Mali prévoit de mener une étude d’ensemble sur l’ASM dans certaines régions minières afin de recenser les sites, de cartographier les acteurs tout au long de la chaîne de valeur et de fournir des données sur la production et les paiements lorsque cela est possible. L’expertise de l’OCDE dans ce domaine ainsi que les données dont elle dispose serviront à l’appui de l’élaboration d’une telle étude.
L’ITIE est justement en train de revoir sa Note d’orientation sur l’inclusion des activités minières artisanales et à petite échelle sous la Norme ITIE et ce en collaboration avec l’OCDE. Cette note fournit des orientations sur les mesures concrètes que les pays peuvent prendre pour améliorer leurs rapports sur les licences, la production et les exportations, les versements fiscaux et les impacts sur l’environnement et l’égalité de genre de ce secteur d’activités. Avec de telles données, les gouvernements seront mieux équipés pour maximiser la contribution de ce secteur à l’économie.
3. Intensifier la participation des communautés entourant les sites ASM
Les défis liés à la pandémie de COVID-19, à la sécurité et à l’instabilité politique sont autant d’obstacles aux activités et options d’exploitation individuelles ; c’est pourquoi l’OCDE et l’ITIE peuvent utilement se rapprocher et travailler à l’unisson pour mieux faire participer les communautés installées autour des sites d’exploitation minière artisanale et à petit échelle.
Les activités qui peuvent être menées localement sont essentielles à la promotion du débat public et de la participation des membres de ces communautés. Pour que les réformes engagées par les États dans le secteur de l’ASM aient les retombées souhaitées, les communautés doivent être associées et apprendre à connaître et à contrôler les risques liés à ce type d’exploitation. La participation des femmes et des groupements de femmes à ces activités est également essentielle. À cet égard, l’OCDE et l’ITIE sont engagées, ensemble, dans des initiatives relatives aux chaînes d’approvisionnement en minerais visant à faire progresser l’égalité entre les sexes et à garantir que les exigences en matière de devoir de diligence soient sensibles aux questions de genre.
Une collaboration à long terme
Au-delà du seul secteur de l’ASM, le rapport met en lumière plusieurs pistes de collaboration entre l’OCDE et l’ITIE qui permettraient de renforcer l’intégrité et la transparence dans les chaînes d’approvisionnement des industries extractives. Les deux organisations pourraient par exemple conjuguer leurs efforts pour renforcer la transparence sur tout ce qui touche à la propriété effective, ou aux échanges d’informations entre les acteurs en aval et en amont des filières concernées.
En outre, de tels rapprochements peuvent même dépasser le simple cadre de collaboration OCDE-ITIE. Les exigences en matière d’approvisionnement responsable du London Metal Exchange (LME) ont été lancées en 2019 et elles s’inspirent à la fois du Guide OCDE et de la Norme ITIE. Elles s’appliquent à toutes les sociétés cotées au LME, dont beaucoup opèrent ou s’approvisionnent en Afrique de l’Ouest.
Les chaînes d’approvisionnement dans le secteur extractif doivent être de plus en plus responsables et transparentes, et ce thème revêt une importance croissante à la lumière des récentes évolutions mondiales. La crise du COVID-19 a coupé court aux flux de revenus provenant des ressources naturelles dont les nombreux pays qui en dépendent ont tant besoin. Et à mesure que le monde amorce la transition vers des sources énergétiques plus propres, la demande de minéraux continuera de croître.
Dans un tel contexte, un agenda de travail commun et des objectifs partagés par les grandes initiatives internationales sont plus que jamais nécessaires. Mais en définitive, les activités conjointes OCDE-ITIE dans le secteur de l’ASM en Afrique de l’Ouest doivent, avant tout et surtout, permettre de soutenir le développement durable et les moyens de subsistance à long terme des millions de citoyens qui en vivent.
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Crédit photo : © Alliance for Responsible Mining