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Baptême du feu

Toute transition professionnelle implique généralement une longue phase d'apprentissage, mais en accompagnant Jonas au Myanmar mi-janvier, mes débuts à l'ITIE ont été une plongée directe dans l'arène.

Les questions abordées, de l'opacité des contrats de mines d'importance nationale à la nécessité de créer un espace pour que la société civile puisse participer à l'ITIE, touchaient au cœur même de notre mission. Les discussions ont porté sur le rôle que les initiatives internationales, telles que l'ITIE, pouvaient avoir dans le processus, souvent complexe, des réformes nationales.

Tension palpable

La société civile s'oppose au gouvernement depuis 2012 sur la question de la mine de cuivre de Letpadaungtaung. À l'origine une entreprise mixte composée de la société chinoise Norinco, à travers sa filiale Wanbao, et du conglomérat UMEHL créé par l'armée birmane, le gouvernement a pris une participation de 51 % dans l'entreprise en 2013, reléguant ses deux autres partenaires à 30 % et 19 % respectivement.

Un changement d'actionnariat est intervenu à la suite d'une commission d'enquête, dirigée par Aung San Suu Kyi, lancée après les manifestations de la société civile demandant l'arrêt du projet fin 2012. Néanmoins, la plupart 96 recommandations de la commission, touchant notamment à l'indemnisation des propriétaires ou la nécessité de renforcer la confiance et la transparence, ne semblent pas encore avoir été mises en oeuvre. La reprise des manifestations sur le site du projet fin 2014 ont fait une victime, une jeune activiste nommée Daw Khin Win, attisant les passions des deux côtés.

Comment l'ITIE s'est impliquée

L'ITIE, l'un des seuls espaces de dialogue entre le gouvernement et la société civile, a très vite été engagée dans la crise. Les organisations de la société civile (OSC), ont fait remarquer que la réponse aux protestations et les commentaires du gouvernement, jugés autoritaires et accusatoires, enfreignaient l'obligation de créer une place adaptée à la société civile - Norme ITIE, section 1.3. C'est dans ce contexte que notre visite s'est déroulée, et nous espérons avoir fourni des encouragements et l'incitation nécessaire pour que les trois parties restent à la table du Groupe multipartite.

Cependant, les résultats de la discussion autour de la mine de Letpadaungtaung vont plus loin que ces conséquences immédiates. « Dans chaque crise, il y a une opportunité », deux concepts regroupés dans le seul caractère chinois pour le mot "crise", soulignant que le danger n'est pas que négatif. De même, les participants au processus de l'ITIE ont le choix de regarder en avant ou en arrière. Ils peuvent considérer leur participation comme un jeu purement théorique et n'y voir qu'un instrument de négociation, ou au contraire la considérer comme un moyen de consultation et de dialogue ouvert pour construire le cadre institutionnel d'un accord grâce au Groupe multipartite. Bien évidemment, dans le cas du Myanmar, après des décennies de conflit, instaurer la confiance est un processus lent et compliqué. A travers mes visites fréquentes au Myanmar depuis début 2010, j'ai eu l'occasion d'être le témoin deschangements spectaculaires et rapides. Pourtant, malgré toutes les réformes engagées nous ne sommes qu'au début d'un long voyage.

Des enjeux qui ne se limitent pas à la place de la société civile

La place de la société civile est certainement une des clés de la réussite de la mise en œuvre de l'ITIE, mais il existe aussi un aspect de la mine de Letpadaungtaung qui a moins attiré l'attention des médias.

Le contrat du projet et le montage financier sont entourés de secret, même si certains éléments ont été divulgués dans le cadre d'une commission d'enquête en 2013. Cela relève clairement de la compétence de l'ITIE et c'est sans doute là où le processus pourrait aider le plus. L'ITIE, en tant que norme internationale, fait partie d'un réseau plus large d'initiatives mondiales, allant des « Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme » au « Partenariat pour un gouvernement transparent ». Ce réseau de forums internationaux constitue une sorte de nouvelle diplomatie, où la société civile, les entreprises et le gouvernement ont des sièges permanents. En tant que tel, il est un instrument pouvant répondre aux besoins pressants en matière de transparence là où c'est nécessaire.

L'information fait naître la responsabilité

Avec l'important flot d'informations sans précédent du processus de l'ITIE, il est crucial de mieux utiliser ces informations. Le vieux dicton « Savoir, c'est pouvoir » peut sembler aussi évident qu'il est concis, mais à mon avis le processus n'est ni automatique, ni nécessaire.

Si l'information peut conduire à l'émancipation, elle reste une condition nécessaire, mais insuffisante en soi. En effet, à l'aube de l'ère de la circulation des données, les dangers de la surcharge d'informations nous guettent. Il incombe maintenant aux parties prenantes, en s'appuyant sur les données recueillies grâce à la mise en œuvre de l'ITIE dans 48 pays, d'utiliser ces informations de façon créative et pertinente.

La société civile peut développer des logiciels de visualisation pour à la fois diffuser plus largement les chiffres et permettre aux gens de suivre les recettes de l'extraction. Les chiffres ventilés sont également importants dans l'industrie, pour satisfaire ses exigences de conformité, mais aussi comme une source fiable d'informations sur le marché local. Cela apporte également des avantages importants pour le gouvernement en termes de reconnaissance internationale, d'amélioration des notes de crédit et enfin, de financement.

Des premiers succès, en espérant plus à l'avenir

Les événements de la mi-janvier au Myanmar, où la réunion extraordinaire du Groupe multipartite a établi un dialogue mesuré et honnête entre les trois bords, montrent que le processus est sur les rails. À l'usage, la qualité du dialogue et la confiance se développeront. Des voyages d'apprentissage impliquant les trois parties seront essentiels pour construire des liens au sein de ce groupe. Pour soutenir les institutions et organisations naissantes, comme l'Alliance du Myanmar pour la transparence et la responsabilisation (MATA), l'ITIE devrait également présenter des « avancées rapides » à ses membres, en amont du premier rapport de 2016.

Il est déjà acquis que les deux parties présentes lors de la récente rencontre étaient réellement intéressées par la création de MATA, en tant qu'organisation de la société civile, et de l'ITIE, en tant que groupe de discussions. Les étapes futures pourraient être d'encourager la divulgation des contrats et de leur bénéficiaires, afin d'établir les prémices de la transparence, tant au sein du Groupe multipartite qu'en dehors.

La manière dont est utilisée l'information déterminera le succès de l'ITIE

La semaine dernière a prouvé l'utilité de l'ITIE pour le Myanmar, mais elle a également souligné le tournant auquel l'ITIE se trouve à l'échelle mondiale. Avec les premiers rapports produits sous la norme 2013 de l'ITIE, il lui incombe, à elle et à ses parties prenantes, d'encourager une utilisation plus productive des chiffres vérifiés et de l'information en cours de publication. C'est en élargissant la diffusion de l'information à de nouveaux utilisateurs que l'ITIE prouvera qu'elle vaut plus que la somme de ses parties. Et cela prouvera aux participants à l'ITIE que la collaboration est plus avantageuse que la confrontation.

D'une manière plus personnelle, je rejoins également ce chemin, en quittant mon ancienne vie dans une entreprise d'analyse privée. Il semble que nous passions tous d'une approche descriptive et analytique vers l'action concrète et concertée. Une évolution que je me réjouis par avance d'entamer.

Alex Gordy a rejoint le Secrétariat international de l'ITIE en janvier 2015.

Pays
Myanmar