Skip to main content
Fallback image

Le rapport entre les activités extractives et le financement du développement

Comment passer des beaux discours qui ont été prononcés à la Conférence sur le financement du développement à Addis Abeba à la réalisation de résultats concrets ?  Pour les pays riches en ressources naturelles, l'ITIE propose un ensemble de mesures tangibles qu'ils peuvent mettre en oeuvre pour maximiser la valeur de leurs richesses extractives. 

L'occasion d'une génération

Christine Lagarde, Directrice générale du FMI, sait de quoi elle parle quand elle évoque les trois rencontres mondiales prévues pour le deuxième semestre de l'année : la Conférence sur le financement du développement (juillet, Addis Abeba), le Sommet des Nations Unies pour arrêter les prochains Objectifs du développement durable (Septembre, New York) ; et la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (Décembre, Paris). Elle parle de 'l'occasion unique d'une génération pour le développement mondial'. Si on y ajoute le Sommet du Partenariat pour un gouvernement transparent (octobre, Mexico), le Sommet sur le commerce (décembre, Nairobi) et la Conférence mondiale de l'ITIE (février 2016, Lima), on constate que les neuf prochains mois seront marqués par une multiplication des efforts pour parvenir à des accords mondiaux sur certains des plus grands défis de notre génération. Si nous laissons passer ces occasions, il deviendra toujours plus difficile de parvenir à des accords mondiaux dans ces domaines. 

Tout en y étant apparentée, l'ITIE revêt un intérêt direct pour la Conférence sur le financement du développement, récemment conclue. On doit saluer le fait que cette Conférence s'est terminée en sa faisant l'écho de nos Principes et en faisant directement référence à l'ITIE :

Nous réaffirmons que chaque Etat exerce pleinement sa souveraineté permanente sur l'ensemble de ses ressources naturelles et sur son activité économique. Nous soulignons combien il importe d'assurer la transparence et la redevabilité de toutes les entreprises, surtout celles du secteur extractif. Nous encourageons les pays à appliquer les mesures propres à assurer la transparence et nous prenons acte des initiatives volontaires telles quel'Initiative pour la transparence des industries extractives.

Sans aller jusqu'à formuler une recommandation claire de mettre en oeuvre l'ITIE, cette phrase du programme d'action d'Addis Abeba, comprise dans le document final, constitue l'une des rares références à entreprendre une activité spécifique.

Au-delà de l'aide : l'impôt et le financement privé

On a beaucoup parlé de la nécessite de l'aide au développement pour l'atteinte des Objectifs de développement durable (148 milliards d'USD seront nécessaires chaque année, selon les calculs de l'ODI.). Et pourtant les plus de 10 mille milliards d'impôts qui sont dégagés dans ces pays l'emportent largement sur ces flux d'aide, et ce, malgré le taux de recouvrement plutôt faible de ces pays. En effet, les pays très pauvres ne perçoivent, en impôts sur les entreprises, que 13 % de leur PIB, alors que cette proportion est de 34 % dans les pays riches, rapporte The Economist. Point n'est besoin d'être mathématicien pour conclure que le débat sur le Financement du développement ne doit pas être centré sur la fiscalité. Car l'aide ne suffira pas pour financer des écoles, des hôpitaux, des routes et des distributions d'eau à la majeure partie des pauvres du monde. Pour financer tout cela, il faut des impôts. L'aide à elle seule ne va pas créer les 600 millions de nouveaux emplois dont les pays en développement auront besoin ces 15 prochaines années. La contribution du financement privé et de la croissance économique sera indispensable.

Comme l'a souligné un ministre des Finances africain à la Conférence : 'Nous commençons enfin à parler des questions qui comptent. Car cette rencontre a pour but de traiter des emplois, des investissements et de la croissance ; il ne s'agit pas d'une rencontre à propos de l'aide au développement'.

S'attaquer aux défis du secteur extractif

Les secteurs du pétrole, du gaz et de l'extraction minière présentent des défis particuliers pour le développement parce que les pays qui en possèdent ne se font pas concurrence de la même façon pour attirer des investissements. Ce sont plutôt les entreprises extractives qui se font concurrence pour exploiter les ressources naturelles de ces pays. Comme ceux-ci ne sont pas toujours bien gouvernés et comme les revenus sont importants, le secteur peut devenir très exposé à une mainmise par les élites, à des procédures corrompues, à des conflits et à d'autres facteurs qui ont tendance à faire tomber la rentabilité du secteur extractif pour le développement. Ces défis affectent les pays pauvres de manière disproportionnée. Ils peuvent être encore aggravés en affectant la sécurité énergétique et en accroissant la dépendance de ces pays à l'égard de leurs ressources naturelles.

De telles situations sont capables d'occasionner des pertes massives pour le développement. Pour que ces ressources puissent bénéficier à tous les citoyens, il est nécessaire que chaque pays instaure davantage de transparence sur la gestion de la richesse issue de ses ressources naturelles.

L'ITIE est une Norme mondiale visant à promouvoir la gestion transparente et redevable des ressources naturelles. Elle cherche à renforcer les systèmes des pouvoirs publics et des entreprises, à informer le débat public et à relever la confiance. Dans chaque pays de mise en oeuvre, elle est appuyée par une coalition entre le gouvernement, les entreprises et la société civile, animés de la volonté de coopérer.

Les 48 pays mettant en oeuvre l'ITIE divulguent de l'information sur les recettes fiscales, les licences, les contrats, les statuts de propriété, les chiffres de production et d'autres données entourant l'extraction de ressources naturelles. Cette information est publiée dans un rapport ITIE annuel (pour voir tous les rapports ITIE, visitez data.eiti.org). Ce document permet aux citoyens de constater par eux-mêmes la manière dont les ressources naturelles de leur pays sont gérées et les recettes que leur gouvernement en dégage. A ce jour, plus de 1,6 mille milliards de dollars de revenus ont été divulgués dans les rapports ITIE - divulgations qui souvent étaient faites pour la première fois.

La transparence ne conduira à la redevabilité que pour autant qu'il y ait une compréhension sur le sens des chiffres, et un débat public sur la manière dont la richesse issue des ressources extractives du pays devrait être gérée. C'est pourquoi la Norme ITIE prescrit que les Rapports ITIE doivent être compréhensibles et activement promus, et qu'ils contribuent à un débat public.

La Norme ITIE comporte un ensemble d'exigences que les pays doivent satisfaire afin d'être reconnus initialement comme Candidats à l'ITIE, et subséquemment comme l'un des 31 pays de l'ITIE qui sont conformes aux exigences de l'Initiative. L'exécution de la Norme est supervisée par le Conseil d'administration international qui réunit les représentants de gouvernements, d'entreprises et de la société civile.

Comment l'ITIE dégage des fonds en faveur du développement

Le Programme d'action d'Addis Abeba ne manque d'éléments positifs, certes, mais on lui reproche aussi de manquer de plans concrets. Les belles paroles et les conférences ne suffisent pas. Le secteur extractif est un terrain d'action indéniable.  

L'ITIE fait partie d'une série d'actions de politique publique que les pays peuvent entreprendre pour maximiser la valeur - privée et publique - dégagée de leurs ressources naturelles. Elle le fait de trois façons :

  1. le renforcement des systèmes de perception du gouvernement Dans des pays tels que le Tchad, où le processus ITIE a déterminé les modalités d'inscription des recettes provenant du pétrole au budget ou le Pérou, où l'ITIE montre la répartition de recettes extractives parmi ses administrations régionales, les rapports ITIE mettent en évidence les améliorations qu'il conviendra d'apporter au dispositif de la perception fiscale pour s'assurer que le gouvernement reçoive la valeur qui lui est due pour les ressources naturelles du pays. Ainsi, les pays ne vont pas seulement recevoir leur dû, mais il y aura une suppression des manques à gagner résultant d'actes d'évasion fiscale inévitablement facilités par des systèmes faibles. Au Nigéria, les rapports ITIE ont établi qu'un montant incroyable de 25,3 Mds de dollars US en recettes extractives à percevoir manquaient des caisses de l'État. A ce jour, 2,4 Mds de dollars US ont pu être récupérés et le nouveau gouvernement s'est engagé à suivre les recommandations du rapport ITIE au Nigéria afin de récupérer de nombreux autres milliards de dollars.
  2. Accroissement de l'attractivité de pays pour les projets d'investissement, ce qui se traduira par davantage d'emplois et de financements privés. Pour une entreprise, venir dans un pays membre de l'ITIE signifie qu'elle va investir en bénéficiant de conditions égales à celles offertes à tous les intervenants, dont le gouvernement s'est engagé à soumettre l'allocation de licences à des dispositions transparentes, à publier sa politique en matière de contrats et de régimes fiscaux, à faire appliquer des dispositions de divulgation sur les impôts et redevances, et à expliquer le fonctionnement des entreprises d'État. Les données du FMI montrent qu'il existe une forte corrélation entre ses conditions de prêt et la transparence fiscale des pays bénéficiaires, ce qui vraisemblablement encouragera la divulgation accrue d'informations de propriété réelle et de contrats. En RDC, les accords de troc entre la compagnie minière d'État et un investisseur chinois font partie aujourd'hui du domaine public.  Et aux Philippines, on peut trouver les clauses de contrats pétroliers et miniers en ligne. Cela fournit à des entreprises songeant à investir dans le pays une information cruciale sur les arrangements d'investissement, leur permettant de calculer les rendements à prévoir.
  3. Génération d'un débat public informé.  Les pays de l'ITIE disposent non seulement d'un groupe multipartite national réunissant les représentants du gouvernement, des entreprises et de la société civile pour discuter de politiques, de revenus et d'allocations intéressant le secteur extractif, mais en plus de cela, nombre d'entre eux commencent à établir des registres publics et des bases de données toujours améliorés pour permettre au public d'explorer de l'information dans ce domaine. Au Kazakhstan, l'ITIE est passée du papier à l'électronique, sous la forme d'un portail, renforçant ainsi sensiblement l'efficacité et l'accessibilité. Le secteur entier des hydrocarbures de la Norvège peut être étudié à l'aide de cartes et de tableaux sur ce site. Ces types de plateformes, qui attirent un vif intérêt de la part de la société civile et offrent un accès à des données ouvertes (autant d'Exigences de l'ITIE) ont favorisé des débats mieux informés dans les pays mettant en oeuvre l'ITIE. Dans nombre d'entre eux, cela a déjà conduit à des politiques améliorées, dégageant davantage de valeur à partir des ressources naturelles. De plus, ce débat informé encourage la confiance mutuelle. Le Myanmar a émergé de dizaines d'années d'opacité pour entrer dans une ère d'ouverture relative des débats.- ce n'est que du moment où l'on dispose de faits acceptés, fiables et démontrés que l'on peut empêcher la suspicion et la méfiance de vicier le débat sur les politiques publiques.

Depuis une dizaine d'années, la transparence a fait de grands progrès dans l'univers de la gestion des ressources naturelles. Mais il reste encore beaucoup à faire pour transformer la transparence en redevabilité. En renforçant les liens entre l'ITIE et les autres initiatives internationales, il sera possible de stimuler encore davantage les réformes au niveau des gouvernements, des entreprises et de la société civile, qui tous souhaitent voir l'oeuvre de développement progresser plus rapidement au profit de leurs citoyens. Les pays riches en ressources naturelles devaient être plus nombreux à appliquer l'ITIE et les autres initiatives similaires en faveur d'une amélioration de leur gouvernance extractive. Ils doivent convier la société civile à ce débat. Les partenaires au développement doivent eux aussi aider les citoyens financièrement et techniquement à obtenir de l'information. Au-delà de son activité de promotion des bonnes causes, la société civile doit s'impliquer dans le débat et l'orienter. De leur côté, les entreprises doivent témoigner d'une volonté de justice tout autant que d'une volonté de bienfaisance, en informant le débat et en créant des règles de jeu plus équitables.

Les beaux discours et les conférences somptueuses ne nourrissent pas les gens. Mais si, comme l'a fait la Conférence sur le financement du développement, elles reconnaissent, encouragent et catalysent les bonnes pratiques, elles pourraient, tout juste, conduire à des résultats tangibles.

 

Cet article sera publié dans la série des articles de réflexion publié par l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD). La série contient quelques exposés assez brefs intéressant le débat actuel sur le financement pour le développement.

En savoir plus