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Transparence: une idée forte dont le temps est venu

Dans ses remarques lors du lancement de l'Open Government Partnership à New York le 20 septembre 2011, Francis Maude, ministre britannique pour le cabinet du Premier ministre et membre du parlement a commencé par une citation de Victor Hugo: "On résiste à l'invasion des armées, on ne résiste pas à l'invasion des idées". Le ministre a poursuivi en suggérant que "la transparence est une idée forte dont le temps est venu". Je ne peux qu'être d'accord. M. Maude était l'un des huit dirigeants et représentants qui ont annoncé leur engagement à l'Open Government Partnership avec 30 autres pays. L'OGP est une nouvelle initiative multilatérale rassemblant les gouvernements et la société civile pour promouvoir la transparence, combattre la corruption, renforcer la responsabilité et responsabiliser les citoyens.

Donnant plus de voix à la déclaration de M. Maude, le président Obama a annoncé à la même table que les États-Unis mettraient en œuvre l'ITIE, devenant le deuxième pays de l'OCDE, après la Norvège, à mettre en œuvre cette norme internationale pour la transparence des paiements et perceptions dans le secteur extractif.

Clairement, un point d'orgue se prépare, mais d'où vient cette idée de transparence et quelle en est la force?

Le juge américain Louis D. Brandeis a écrit dans Other People’s Money (L'Argent des autres), publié en 1913, "On dit que la lumière du soleil est le meilleur désinfectant, la lumière électrique le policier le plus efficace." C'était une idée forte à l'époque, une idée qui a contribué à créer le système de la réserve fédérale américaine et a rompu les monopoles. Le président Woodrow Wilson adhéra aux idées de Brandeis et le nomma à la Cour Suprême en 1916. Wilson défendit ensuite la transparence des traités entre gouvernements comme un moyen de réduire le risque de guerre entre les nations lors de son célèbre discours au congrès en 1918.

Débuts difficiles

Le successeur de Wilson, Warren G. Harding, mena le pays dans la direction opposée. Le président Harding dirigeait son administration de façon mystérieuse avec des amis proches qu'il avait choisis, que l'on connut par la suite comme l'Ohio Gang. À cette époque, au début des années vingt, les États-Unis dominaient le marché mondial du pétrole, plus que l'Arabie saoudite aujourd'hui. En 1921, le Congrès adopta le Mineral Leasing Act, qui autorisa le gouvernement américain à louer des terres publiques pour l'extraction de charbon, pétrole, gaz naturel et autres dépôts minéraux et d'hydrocarbures. L'Act présentait une lacune, cependant, permettant l'allocation de contrats sans appel d'offres. Peu après l'adoption de cette loi, celui qui était alors le puissant Secrétaire de l'Intérieur et membre de l'Ohio Gang, Albert Fall, loua les droits d'exploitation pétrolière des réserves stratégiques de la Navy à deux compagnies pétrolières sans appel d'offres. En échange de termes favorables, Fall bénéficia de généreuses donations et de prêts sans intérêts de la part des compagnies pour l'équivalent de 7 à 10 millions de dollars américains actuels. En avril 1922, le Wall Street Journal révéla l'histoire de ce qui fut connu comme le scandale du Teapot Dome, du nom de l'un des deux terrains pétrolifères du Wyoming. Après huit années de procès et de reportages sensationnels, Albert Fall fut reconnu coupable de corruption en 1929, condamné à une année de prison et à une amende de 100 000 dollars. Il fut le premier responsable de cabinet à aller en prison.

Progrès lent mais sûr depuis 1933

Dans le sillage de la Grande Dépression, un autre président américain, Franklin D. Roosevelt, cita largement Brandeis en plaidant la création de la Securities and Exchange Commission pour limiter les risques encourus par les investisseurs privés et améliorer la gouvernance des grandes corporations. En 1964, le Securities Act fut amendé pour exiger la divulgation des stocks officiellement commercialisés. Des politiques de transparence visant un large éventail de problématiques telles que la limitation du risque de pollution (divulgation des rejets toxiques), la protection du consommateur (hygiène des restaurants, étiquetage nutritionnel), la sécurité au travail (divulgation des risques sur le lieu de travail) furent largement adoptées dans la seconde moitié du 20e siècle.

Les rapports financiers au premier plan

Dans ce nouveau millénaire, les rapports financiers sont passés à l'avant-plan en raison de leur potentiel de réduction des risques de corruption tout en augmentant l'efficacité des compagnies et la responsabilité des gouvernements. Reconnaissant ce potentiel, des activistes ont formé des coalitions, telles que Publiez Ce Que Vous Payez et Global Witness assumant le rôle de faire pression sur les gouvernements et compagnies pour divulguer les paiements et revenus du secteur extractif. Ce secteur était gangrené par la corruption et source de conflits armés dans certains pays riches en ressources tels que la RDC et le Sierra Leone.

En 2003, le gouvernement britannique accueillit les gouvernements, compagnies et organisations de la société civile et ils approuvèrent un cadre de divulgation qui devint l'ITIE. Un Conseil d'administration international de l'ITIE et un mécanisme de contrôle de la qualité, la Validation ITIE, furent établis en 2007. En 2011, une nouvelle édition des Règles de l'ITIE entra en vigueur, contenant des exigences de divulgation plus rigoureuses. Aujourd'hui, 35 pays mettent en œuvre l'ITIE. Avec quelque 3,5 milliards de personnes (presque la moitié de la population mondiale) vivant dans les pays riches en pétrole, gaz, or et autres minéraux de valeur, la transparence dans le secteur extractif est essentielle au développement.

Mais quelle est la force de cette idée, au juste

Dans l'excitation du lancement de l'Open Government Partnership à New York, Clare Short, la présidente du Conseil d'administration international de l'ITIE posa une audacieuse question à des invités du public: "Comment savons-nous que cette transparence va mener à la responsabilité?" Les invités, parmi lesquels Sanjay Pradhan de l'Institut de la Banque mondiale, répondirent… vous avez deviné, "ça dépend". Au Ghana, par exemple, une étude de la Banque mondiale mit en lumière que la divulgation des termes des contrats était la clé pour assurer que les revenus des minerais et du pétrole du Ghana étaient tous comptabilisés. Un autre invité, Yamini Aiyar, d'Accountability Initiative, souligna que les effets de la transparence sont tellement larges et complexes que des méthodes quantitatives (notamment les RCT) sont incapables de rendre compte à elles seuls des effets. Elle avança que la recherche anthropologique et d'autres études qualitatives seraient nécessaires pour comprendre les réactions des citoyens à l'information et la manière de l'utiliser pour assurer la prise de responsabilités des dirigeants.

Dans Full Disclosure: the Peril and Promise of Transparency (Complète divulgation: le danger et la promesse de la transparence), publié en 2007, Archon Fung, Mary Graham et David Weil consacrèrent un chapitre entier à "Ce qui fait que la transparence fonctionne". Après avoir examiné les politiques de transparence en question aux niveaux national et international, il décrivent le complexe enchaînement de réactions qui mènerait au changement de comportement. Ils découvrirent que l'information fournie par les mesures de transparence était souvent incomplète, incompréhensible ou non pertinente pour les consommateurs, investisseurs, travailleurs et habitants des communautés. Ils conclurent que, pour réussir, les politiques de transparence doivent générer une information exacte, être en avance sur les efforts du divulgateur pour trouver les lacunes et, par-dessus tout, se concentrer sur les besoins des citoyens ordinaires. Avec les bonnes politiques, la transparence a montré qu'elle fonctionne dans un certain nombre de domaines. Par exemple, Hail & Leuz découvrirent en 2006 que le coût du capital des sociétés était inférieur dans les pays dont les exigences de divulgation, les règlements et les mécanismes d'application étaient plus stricts.

Alors que les États-Unis s'engagent à mettre en œuvre l'ITIE, la transparence des revenus issus des industries extractives va réellement devenir une norme internationale. Les organisations internationales de la société civile, telles que Publiez Ce Que Vous Payez, Revenue Watch Institute, Global Witness, Transparency International, Oxfam et beaucoup d'autres, qui ont œuvré sans relâche à défendre cette politique au cours des 10 dernières années, ont effectivement réussi à faire glisser le paradigme. Dans leur campagne pour la transparence et l'ouverture, la question n'est plus pourquoi les gouvernements devraient mettre en œuvre l'ITIE, mais pourquoi ne le font-ils pas? Il s'agit d'une remarquable réussite soulignant que la transparence est en effet une idée forte dont le moment est venu.