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La relation entre l'ITIE et la justice fiscale

« Rendez à César ce qui est à César » [Matthieu 22:21]

Dans les couloirs et au sein des panels de la Conférence mondiale, il y a eu un important débat sur la mesure dans laquelle l'ITIE devrait être utilisée au niveau international pour aborder les questions de droit fiscal, et plus spécifiquement de l'équilibre entre la part du gouvernement et celle des entreprises. Certains ont avancé que cela ne faisait pas partie du mandat de l'ITIE. D'autres pensent que cela porterait préjudice aux activités économiques. D'autres encore ont déclaré que cela serait ne pas respecter la souveraineté des pays. Laissez-moi vous donner quatre raisons qui justifient le fait que l'ITIE promeut sur le plan international des débats nationaux bien éclairés sur les niveaux d'impôts payés par les entreprises, en me concentrant sur les raisons qui me font penser que cela serait utile pour les entreprises honnêtes et bien gérées.

1. Le débat ne porte pas seulement sur la collecte de recettes en faveur de l'État, mais bien sur la garantie d'un terrain d'action égal.

Il est important de distinguer dès le début l'esquive fiscale (légale) de l'évasion fiscale (illégale). Une action est nécessaire sur ces deux fronts. C'est aux gouvernements de voir si leur système fiscal génère un retour raisonnable à l'État.

Bien que les rapports ITIE ne révèlent que peu de choses ayant directement trait au réseau complexe d'esquive fiscale et de prix de transfert, ils révèlent des informations sur ceux qui paient des impôts et ceux qui n'en paient pas. Elles peuvent être examinées en les comparant avec des contrats, des chiffres liés à la production et le régime fiscal. En combinant ces informations, l'ITIE pourrait aider à identifier les cas où il existe un écart entre ce que les entreprises devraient payer et ce qu'elles paient réellement. Le Libéria, par exemple, utilise son processus ITIE pour entreprendre un audit de ce qui devrait être payé [www.leiti.org.lr/doc/leiti4rp2.pdf].

En Zambie, le rapport ITIE de 2010 a montré que plus de 700 000 tonnes de cuivre avaient été produites la même année. En 2010, le prix moyen du cuivre était d'environ 7 500 dollars US par tonne. Un revenu total de 5,2 milliards de dollars aurait donc du être généré par les ventes de cuivre. L'ITIE a rapporté un revenu gouvernemental de 500 millions de dollars US, parmi lesquels 100 millions de dollars venaient des impôts sur les salariés et 400 millions de dollars de la redevance, d'autres productions et de taxes sur les bénéfices. Parmi ces derniers, 7,5 % venaient des recettes des exportations estimées. Les redevances représentaient 3 % des recettes. La plupart de la somme restante était constituée par les impôts sur les sociétés. Cependant, seules deux entreprises avaient payé l'impôt sur les sociétés cette année-là en Zambie. Le reste était exempté de taxes, ou prétendait avoir eu des pertes en Zambie (malgré les prix élevés). Depuis, les autorités zambiennes ont introduit une loi pour surveiller les entrées et sorties depuis et vers l'étranger. Elles ont fait cela dans le but de s'assurer que les dispositions fiscales étaient correctement mises en œuvre, et donc afin de fournir un terrain d'action égal à toutes les entreprises présentes dans le pays.

De manière similaire, en Tanzanie, seule une compagnie minière a payé l'impôt sur les entreprises en 2009/10, alors que les prix de l'or ont été multipliés par six en dix ans. Cette entreprise n'est plus présente en Tanzanie...

Dans le monde des affaires, ce n'est pas une chose positive que d'avoir certains qui suivent des règles différentes, qu'ils agissent de manière légale ou non. Les rapports ITIE révèlent des informations importantes pour éclairer ce débat. Le Secrétaire britannique aux Entreprises, Vince Cable, a déclaré au sujet de la mise en œuvre de l'ITIE aux États-Unis : « Il s'agit d'égaliser le terrain d'action mondial et d'améliorer la transparence, et non de mettre des bâtons dans les roues des entreprises et de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas ».

2. Le débat fiscal fait rage. De plus en plus d'entreprises révèlent de manière détaillée les impôts payés pour documenter ce débat. L'ITIE peut aider les entreprises à modeler ce débat au niveau national en se basant sur des données fiables, en réduisant le nombre d'accusations agressives et le risque d'atteintes portées à la réputation.

J'ai récemment entendu Paul Collier dire que le débat sur les impôts et la transparence avait « plus avancé durant les six derniers mois que durant les six dernières années ». Il a poursuivi ses propos en félicitant ironiquement Starbucks pour sa contribution à ce progrès (le rapport sur leur paiement d'impôts au gouvernement britannique a généré un débat important sur l'esquive fiscale).

Le mois dernier, l'Africa Progress Panel estimait que les «entreprises qui transfèrent leurs bénéfices à des juridictions où la pression fiscale est moindre coûtent 38 milliards d'euros par an à l'Afrique ». En tant que Président du G8 pour cette année, David Cameron s'est emparé de cette déclaration et d'autres rapports et a promis que la fiscalité, la transparence et le commerce seraient des points centraux au sommet de 2013 et ce, avec l'objectif d'améliorer la justice fiscale. Il a fait de la mise en œuvre de l'ITIE au Royaume-Uni un élément central de son agenda.

Étant donné que les déclarations par pays et par projet seront bientôt exigées par la législation aux États-Unis, en Europe et au Canada, un nombre croissant d'entreprises ont devancé la loi en publiant les informations relatives à leurs paiements fiscaux. Toutes les entreprises extractives basées en Europe et aux États-Unis ont, d'une certaine manière, planifié l'entrée en vigueur de ces règles. Lors de l'élaboration du rapport sur les impôts payés de Rio Tinto en 2012, son directeur financier du moment, Guy Elliot, a déclaré que « Rio Tinto encourage le débat constructif sur la politique d'imposition des ressources naturelles au titre de la contribution mondiale au développement économique pouvant être réalisé grâce à des investissements miniers responsables ». Il a continué en expliquant comment la politique fiscale peut être conçue de manière à prendre en compte les éléments cycliques et le respect des contrats. En publiant le rapport 2012 sur la responsabilité d'entreprise de Tullow, qui incluent tous les impôts, redevances et autres paiements versés à des gouvernements du monde entier, le PDG de l'entreprise, Simon Thompson a « encouragé » cette législation et a défendu l'idée selon laquelle la divulgation par projet était la voie à suivre, car elle permettait de « créer un terrain d'action totalement égal, de manière à ce qu'il n'y ait plus de problèmes de susceptibilité commerciale ». Tout comme Shell, Statoil et Newmont entre autres, qui ont fait des efforts similaires récemment, ces compagnies semblent façonner le débat au lieu d'y répondre.

3. L'ITIE peut aider à simplifier et à améliorer le système d'imposition pour attirer les investissements. 

Dans plusieurs pays, le système d'imposition est trop complexe et/ou trop punitif et dissuade ou fait fuir les investisseurs. Les augmentations de taxes au Kirghizistan semblent avoir fait perdre des revenus au gouvernement, et non lui en avoir fait gagner. Les entreprises veulent un environnement sûr, stable et clair en ce qui concerne l'imposition, les investissements et les contrats. Il est de la responsabilité du gouvernement de surveiller et d'assurer le fonctionnement adéquat du système de taxes. L'ITIE ne devrait pas faire le travail du fisc et des auditeurs en général (entre autres). Au contraire, l'ITIE devrait être utilisée pour rassembler toute ces informations, pour les rendre plus accessibles et pour leur donner un contexte plus large, ainsi que pour promouvoir une meilleure compréhension des parties prenantes vis-à-vis de ce que se passe dans le secteur, de ce que l'on peut attendre sur le long terme et des changements nécessaires pour obtenir de meilleurs résultats. Une meilleure prise de conscience de la part des parties prenantes peut permettre d'inciter à des réformes qui promouvront l'investissement, la création d'emploi, le développement économique et de meilleurs revenus pour l'État.

4. Un débat fiscal national donne du sens aux Principes de l'ITIE.

Alors qu'on se concentre beaucoup sur Starbucks et Apple, les citoyens ont, à juste titre, des demandes différentes envers les compagnies qui extraient des ressources naturelles (qui, au bout du compte, appartiennent aux citoyens) qu'envers les compagnies qui vendent du café ou des ordinateurs. Cela est reconnu dans le Principe 1 de l'ITIE qui stipule que « l'exploitation prudente des richesses en ressources naturelles devrait constituer un moteur important pour une croissance économique qui contribue au développement durable », et le Principe 4 : « la compréhension du public des revenus et des dépenses du gouvernement dans la durée est susceptible de contribuer au débat public et faciliter le choix d'options appropriées et réalistes favorisant le développement durable ». L'évaluation 2011 de Scanteam a mis au défi l'ITIE afin qu'elle devienne encore plus pertinente pour pouvoir mettre en oeuvre ces principes. La révision de la stratégie des deux dernières années qui a culminé avec la création de la Norme ITIE a été conçue spécialement pour que l'ITIE soit plus compréhensible, plus pertinente et plus fiable. La Norme ITIE a pour but de faciliter une procédure pertinente dans chacun des pays. Comme l'a dit le Président Obama à l'occasion du lancement du processus ITIE aux États-Unis, il voulait s'assurer que les « contribuables recevraient tous les dollars qui leur sont dus et issus de l'extraction des ressources naturelles ». La plupart des pays utilisent l'ITIE de cette manière.

Dans la République démocratique du Congo, selon le rapport ITIE, moins de 200 millions d'euros sont parvenus dans les coffres du gouvernement pour les années 2008 et 2009 réunies. Moins d'un dollar US par personne et par an, cela paraît être un retour plutôt faible pour un secteur qui est considéré comme ayant alimenté une guerre responsable jusqu'à présent de la mort d'environ 5 millions de personnes. Bien entendu, cela ne signifie pas que les entreprises sont responsables de ces morts, ni même d'esquive fiscale, mais cela indique clairement qu'elles ont fort intérêt à prendre part au débat national sur la politique fiscale. Dans cette atmosphère tendue, l'ITIE sert de plate-forme et permet d'établir la confiance dans ce débat.

Pour conclure, l'ITIE doit rester un processus qui aide les entreprises qui emploient des milliers de personnes, créent de la croissance et paient leurs impôts. Pour que ce soit le cas, elle doit encourager et documenter le débat national sur la justice fiscale.