Résumé
La plupart des pays riches en ressources disposent de registres pour les aider à gérer leurs systèmes de licences aux industries extractives. Les registres de licences sont des bases de données qui contiennent la documentation relative à tous les droits d’exploration/prospection, de développement et d’extraction accordés aux entreprises. Le format de ces bases de données est très variable : il peut s’agir de simples feuilles de calcul Excel, ou de systèmes sophistiqués en ligne, contenant des informations géographiques, géologiques et autres éléments contextuels, notamment le propre document de licence.
La mise à disposition des registres de licences permet aux citoyens d’un pays de savoir quelles entreprises bénéficient du droit d’exploiter leurs ressources naturelles, où et à quelle fin. Le public est ainsi en mesure de surveiller les activités d’extraction au niveau de chaque projet, c’est-à-dire par champ de pétrole ou par mine. Il est essentiel de maintenir un système de registre précis pour encourager l’investissement, clarifier les droits de propriété, atténuer la dégradation de l’environnement, éviter les conflits concernant les droits de propriété et l’emplacement des activités du secteur extractif, et améliorer la vigilance et la redevabilité s’agissant des procédures d’attribution des licences.
L’Exigence 2.3 de la Norme ITIE impose aux pays mettant en œuvre l’ITIE de tenir des registres de licences complets et de les actualiser. Les registres et les cadastres doivent refléter des informations fidèles sur tous les titres extractifs en vigueur, et contenir le nom des entreprises concessionnaires, les matières premières produites, la zone géographique et la durée de chaque licence. Lorsqu’il existe des obstacles juridiques ou pratiques à la divulgation complète des informations requises (par exemple, des clauses de confidentialité dans les contrats ou l’absence de plateforme accessible), il faut les expliquer ainsi que les mesures envisagées pour les surmonter. Dans les cas où les données des registres de licences sont systématiquement divulguées, les Rapports ITIE peuvent alors plutôt chercher à analyser et à évaluer la qualité des divulgations.
La présente note a pour objet d’orienter les groupes multipartites sur la façon de lever les obstacles liés à la divulgation des registres de licences et de renforcer la transparence entourant les droits extractifs. Elle est à rapprocher des lignes directrices sur l’octroi des contrats et des licences (Exigence 2.2) et sur la divulgation de la propriété effective des entités titulaires de licences (Exigence 2.5).
- Quelles sont les sociétés qui ont le droit d’explorer et d’exploiter les ressources pétrolières, gazières et minières ? Quelles sont les matières premières produites par ces sociétés ? Quelle est la durée de validité des licences octroyées ?
- Quel est le délai qui s’écoule en général entre le moment où une entreprise présente une demande de licence et le moment où elle est accordée ? Existe-t-il des différences importantes, en termes de délais, entre une entreprise et une autre ?
- Dans quelles zones les activités extractives sont-elles autorisées ? De quelle façon les divulgations publiques ont-elles contribué à clarifier les droits de propriété et à prévenir les conflits, qu’ils portent sur la zone géographique sous concession ou sur la propriété légale des activités d’extraction ?
- Les contrats et les licences qui sont accordés concernent-ils des zones situées à proximité de communautés locales ou de zones vulnérables sur le plan environnemental ?
Aperçu des étapes
ÉTAPE | PRINCIPAUX ASPECTS À PRENDRE EN COMPTE | EXEMPLES |
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Étape 1 : |
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Étape 2 : |
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Étape 3 : |
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Comment mettre en œuvre l’Exigence 2.3
Étape 1 : Comprendre le registre de licences
Conformément à l’Exigence 2.3.b, les pays mettant en œuvre l’ITIE ont l’obligation de tenir un système de registre public ou de cadastre contenant les informations suivantes, actualisées et complètes, concernant chaque licence octroyée aux entreprises relevant du secteur extractif. Pour préparer la divulgation des données relatives à ces licences, il est conseillé au groupe multipartite de bien comprendre les informations effectivement disponibles sur la base du système en place. Il doit pour cela examiner les types de droits qui existent, la façon dont ils sont inscrits ou enregistrés, et qui est responsable d’assurer un suivi des titres et droits d’exploitation ainsi accordés.
Les questions suivantes pourront guider sa démarche :
- Quels types de licences existent ?
- Quelles sont les autorités chargées de gérer les licences dans le secteur des hydrocarbures et des mines ? Sont-elles associées au processus ITIE ?
- Comment assurent-elles le suivi des licences ? Existe-t-il des registres/systèmes de cadastre publiquement disponibles ? Existe-t-il plusieurs systèmes (par exemple aux niveaux national, régional et local) ? Dans l’affirmative, les responsabilités entre les différents organismes concernés sont-elles clairement définies ?
- Quel type de système existant (cf. manuel ou informatique) permet de conserver le registre des licences en vigueur ?
- Selon quelle fréquence chaque registre est-il mis à jour, et qui est chargé de ce travail ?
- Le système permet-il le suivi de chaque licence ? Si c’est le cas, ce suivi est-il effectif ?
- Des réformes sont-elles prévues pour modifier le ou les systèmes actuels d’enregistrement des licences ?
Conformément à la Norme ITIE, une « licence » désigne toute licence, bail, titre, permis, contrat ou concession par lequel le gouvernement octroie à une entreprise (ou à plusieurs entreprises) ou à des individus, les droits afférents à l’exploration ou à l’exploitation des ressources pétrolières, gazières et/ou minérales.
Le terme « registre » se réfère au système administratif (physique ou en ligne) établissant la liste des licences extractives en vigueur dans un secteur donné.
Le terme « cadastre » se réfère à un système cartographique représentant les emplacements où les droits sont accordés, et contenant des informations documentées telles que les détenteurs de permis, les coordonnées géographiques et les matières premières.
République dominicaine : Cadastre du département de cartographie
En République dominicaine, il existe un département de cartographie au sein du ministère des Mines qui est responsable de la tenue et de la publication du cadastre des licences extractives, lequel est mis à jour deux fois par an. Il présente la carte des licences en cours de validité. La saisie de données est partiellement manuelle.
Étape 2 : Évaluer l’exhaustivité des informations relatives aux licences
Il est conseillé aux groupes multipartites d’examiner le contenu des registres existants et d’évaluer si les informations qu’ils contiennent sont complètes et fiables. Il doit de même observer le rythme de l’activité de délivrance des licences au cours de la période considérée.
Pour déterminer si des informations manquent (ne pas confondre avec l’identification des informations contenues dans les systèmes et qui ne sont pas accessibles au public), il lui est conseillé de tenter de répondre aux questions suivantes :
- Quelles sont les sociétés et les licences couvertes par ce registre/cadastre ? Inclut-il les licences détenues par les entreprises comprises dans le périmètre d’application des rapports ITIE (comme l’exige la Norme ITIE) ? Si ce n’est pas le cas, le groupe multipartite devra indiquer le montant (en pourcentage) des recettes perçues auprès des entreprises disposant d’une licence par rapport au total des recettes extractives perçues par l’État.
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Une fois la portée du registre déterminée, quelles sont les données disponibles au public, pour toutes les licences et en particulier celles détenues par les entreprises incluses dans les Rapports ITIE ? Les données suivantes doivent être accessibles au public :
- Nom/Dénomination des détenteurs de licences. L’identification nominative permet à tous de savoir quelles sont les entreprises qui opèrent dans le pays. Ceci est essentiel pour assurer une vigilance complète du secteur et pouvoir exiger des comptes.
- Coordonnées. La précision des coordonnées spatiales ou géographiques permet aux parties prenantes de vérifier si les entreprises respectent les droits de propriété et les spécifications de la licence accordée. Toutefois, les coordonnées ne figurent pas toujours dans les registres en ligne, ou ne sont pas rassemblées dans des tableaux Excel qui peuvent facilement être présentés dans des Rapports ITIE. Si ces coordonnées ne sont pas recensées, le gouvernement est quand même tenu de veiller à la divulgation de l’étendue et de l’emplacement de la zone visée par la licence. Les coordonnées précises doivent pouvoir être connues et demandées à l’administration compétente, sans frais excessifs ni restrictions inconsidérées. Les divulgations doivent inclure des indications sur la façon d’accéder à ces coordonnées ainsi que des informations sur les éventuels coûts d’accès à ces données.
Indonésie : Suivi des informations géographiques
L’organisation de la société civile, Publiez ce que vous payez Indonésie, a utilisé les coordonnées figurant dans le Rapport ITIE pour vérifier si les activités extractives étaient menées dans les limites de la zone autorisée. Elle a équipé de drones la communauté autochtone de Dayak, dans le Kalimantan occidental, pour surveiller les opérations et la conformité des activités extractives dans cette région. En comparant les activités aux coordonnées de la licence, les membres de cette communauté ont pu s’assurer que les entreprises observaient de bonnes pratiques minières et ne contrevenaient pas aux normes environnementales.
- Date de la demande, date de l’octroi de la licence ainsi que sa durée. Le groupe multipartite aura intérêt à analyser le temps qui s’écoule entre la date de la demande et la date d’octroi de la licence, ce qui pourra lui procurer quelques indices (par exemple, des délais trop longs, ou bien trop courts pour véritablement évaluer une telle demande). Il pourra de même établir des comparaisons entre différentes entreprises.
Mongolie : Analyse de la durée du processus d’octroi des licences
En Mongolie, les parties prenantes ont analysé les délais entre les demandes de licence et leur date d’attribution afin de calculer la durée moyenne de l’ensemble de la procédure et de suggérer certaines améliorations. Transparency International Mongolie a passé en revue les risques potentiels induits par des données de licence fragmentées ou incomplètes, et a étudié la façon dont l’ITIE et d’autres initiatives de transparence pouvaient aider à les contrôler, notamment en promouvant le recueil de données transparentes et de qualité.
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Matières premières produites ou visées par le permis d’exploration.
- Les registres de licences reflètent-ils avec suffisamment de précision les données sur la propriété des licences ? En d’autres termes, les systèmes sont-ils à jour ?
- Comment les utilisateurs peuvent-ils savoir si des modifications sont intervenues dans la propriété des licences ? L’historique et les transferts figurent-ils dans le registre ?
- Des réformes sont-elles en cours pour améliorer l’exhaustivité et l’actualisation des données divulguées dans le cadastre/registre de licences ? Si c’est le cas, dans quels délais de telles réformes seront-elles adoptées ?
Togo : Exportation sans registre de droits miniers ni de production
Le Togo est un grand exportateur d’or : selon le Rapport ITIE, entre 20 et 50 tonnes sont exportées chaque année. Pourtant, aucune licence d’exploitation de ce minerai n’est enregistrée dans le cadastre togolais. Ceci peut être symptomatique de failles dans les systèmes officiels de déclaration de la production, ou de transferts illégaux entre le Togo et les pays voisins.
Guinée : Divulgation systématique des données sur les licences
Le cadastre en ligne de la Guinée, développé par Trimble Land Administration, couvre toutes les données requises, tel que le prescrit l’Exigence 2.3.b (détenteurs de licences, dates de demande, d’octroi et d’expiration, matières premières et coordonnées). Les données sont mises à jour de façon continue par le biais d’un système informatique.
Toutefois, la carte du cadastre ne reflète que les données actuelles de propriété. Il devrait être complété afin de faire figurer les propriétaires précédents et les changements de propriété dans les cas où les licences ont été cédées ou transférées.
Afghanistan : Divulgation des contrats et bénéficiaires effectifs
Le registre en ligne des licences, tenu par l’ancien ministère des Mines d’Afghanistan, comprend non seulement tous les points de données requis, mais aussi des liens vers des renseignements détaillés concernant les détenteurs de permis. Les contrats liés à des licences individuelles, ensuite ajoutés, peuvent aussi être téléchargés via le portail.
Les registres de licences doivent contenir des informations complètes, ainsi que cela est précisé plus haut, pour toutes les sociétés entrant dans le périmètre d’application convenu par le groupe multipartite (cf. Étape 2). Il est aussi attendu1 des groupes multipartites qu’ils veillent à ce que les registres contiennent des informations sur les licences détenues par toutes les autres entités n’entrant pas nécessairement dans le périmètre d’application susvisé.
Concernant ce dernier aspect, s’il existe des obstacles juridiques ou pratiques importants empêchant la divulgation complète des licences et des contrats, les groupes multipartites doivent mentionner et expliquer quels sont ces obstacles. Il leur faut aussi mentionner les plans du gouvernement visant à surmonter ces obstacles ainsi que le calendrier prévu pour y parvenir. En l’absence de plan au niveau gouvernemental, les groupes multipartites sont censés envisager de leur propre initiative des mesures pour résoudre les difficultés et se rapprocher des acteurs concernés pour leur mise en œuvre. Les obstacles souvent rencontrés ont trait aux clauses de confidentialité figurant dans les contrats signés, à l’absence de plates-formes de divulgation ou de systèmes de suivi, aux compétences concurrentes entre plusieurs administrations, ou encore aux faibles capacités et ressources technologiques.
Sao Tomé-et-Principe : Obstacles pratiques empêchant la divulgation des dates de demandes
À Sao Tomé-et- Príncipe, le système d’archivage de l’Agence nationale du pétrole (ANP) ne permet pas l’enregistrement des dates de demande pour les licences de pétrole et de gaz accordées par le biais de négociations directes. En conséquence, ces données n’apparaissent pas dans les registres en ligne et les Rapports ITIE. Néanmoins, la procédure de Validation a permis de déterminer que l’ANP prévoyait de pallier cette faille, par une mise à jour de son site Internet en 2020.
Étape 3 : S’assurer que les informations sont accessibles au public
De nombreux pays divulguent systématiquement certaines données de licence par le biais de portails ou de cartes en ligne. D’autres utilisent le Rapport ITIE pour publier la liste exhaustive des licences. Pour combler les lacunes qui existent en matière d’information dans les sources accessibles au public (voir Étape 2), les groupes multipartites ont toujours la possibilité d’inclure les informations manquantes dans les Rapports ITIE. Si les licences sont librement accessibles en ligne, et que les données sont complètes et à jour, il leur suffit d’indiquer le lien vers le registre en question dans les Rapports ITIE ou sur le site Internet national ITIE.
L’évaluation et les recommandations émises par les groupes multipartites visant à renforcer les divulgations doivent être justifiées et accessibles au public, par exemple par le biais du Rapport ITIE ou sur le site Internet national de l’ITIE. Les questions suivantes peuvent guider ce travail d’évaluation :
- Si le manque d’information est identifié à l’Étape 2, les registres de licences pourraient-ils être améliorés, et de quelle manière, afin de comporter tous les renseignements requis ?
- Quels types de renseignements supplémentaires, mais non accessibles au public, existent dans les registres de licences actuels ? Comment ces informations pourraient-elles être rendues publiques ?
- Comment les données sont-elles présentées (cf. peuvent-elles être téléchargées ou affichées sous des formats ouverts) et accessibles (cf. sont-elles librement accessibles et/ou un identifiant est-il nécessaire) ?
- Comment peut-on améliorer la tenue de dossiers et la gestion des registres de licences en cours de validité, pour y inclure par exemple des données historiques ?
Chaque groupe multipartite pourra également souhaiter étudier la façon de relier les données de licence à d’autres types d’information, comme le processus d’octroi, le contrat correspondant, et la façon dont les administrations compétentes peuvent contrôler l’exécution de leurs obligations contractuelles par les titulaires de licence.
Sierra Leone : Enregistrement de licence sous un format ouvert
Le registre des licences en ligne de la Sierra Leone, développé par la Revenue Development Foundation, est hébergé par l’Agence nationale des minéraux (National Minerals Agency). Il permet le téléchargement des données de licence. Cependant, certaines données, telles que les coordonnées, ne sont pas toujours disponibles. Un accès est requis (inscription basique) pour pouvoir utiliser ces fonctions.
Côte d’Ivoire : Présentation géographique des coordonnées
Le registre des licences de la Côte d’Ivoire, développé par Trimble Landfolio (anciennement Flexicadastre), permet un accès facile à toutes les données relatives aux licences, y compris les coordonnées. Ce cadastre permet l’incorporation d’autres types de couches d’information, comme les zones minières artisanales, les forêts protégées et les parcs nationaux. La plate-forme pourrait être améliorée si elle présentait les données sous forme de tableau ou disposait d’une fonction de téléchargement pour une analyse plus approfondie.
Albanie : Le processus ITIE pour remédier aux lacunes en matière de données
L’Albanie dispose de plusieurs registres de licences en ligne, tenus par différentes administrations, dont le ministère de l’Énergie (MIE), l’Agence nationale des ressources naturelles (AKBN) et le Département géologique albanais (SHGJSH). Toutefois, ces registres ne sont pas complets et ne fournissent pas les coordonnées des licences.
L’ITIE Albanie tient donc son propre registre des licences en cours de validité, via son site Internet, lequel est mis à jour manuellement deux fois par an et comprend les coordonnées. Les informations sont vérifiées à partir des registres sources hébergés par le MIE, l’AKBN, le SHGJSH et le National Business Centre. Avant leur publication, des vérifications sont également faites sur la base des listes divulguées par le ministère de l’Énergie et l’organisme régulateur (MIE et AKBN) sur leurs sites respectifs. Toute divergence ou incohérence est relevée, puis levée avec l’aide du MIE et de l’AKBN avant que les registres ne soient mis à jour sur le site Internet de l’ITIE Albanie. Les coordonnées manquantes dans les trois registres sources sont ensuite ajoutées au référentiel ITIE.
Cet exemple montre comment le processus ITIE a permis, à court terme, de combler les lacunes dans les systèmes de divulgation officiels et ceux des entreprises. L’objectif à plus long terme est bien sûr de renforcer les divulgations à la source, c’est-à-dire à partir des registres de licences tenus par les organismes compétents.
Ressources supplémentaires
- ITIE (2021), Note d’orientation : Exigence de l’ITIE 2.2.
- Natural Resource Governance Institute (NRGI) et Open Contracting Partnership (2018), Passation de marchés ouverte pour les droits pétroliers, gaziers et miniers: gros plan sur les bonnes pratiques, pp. 49-50.
- 1L’utilisation du terme « attente » dans la Norme ITIE indique que le groupe multipartite doit envisager la question et documenter ses discussions ainsi que les raisons de la divulgation ou non-divulgation, outre tout obstacle rencontré.